Comment passer de la phase de fusion à la phase du réel en couple ?

Élisabeth et Jean-Louis ont fait le choix de se quitter parce qu’ils n’ont pu supporter les accusations mutuelles qu’ils se proféraient. Il n’a pas su faire face à ses colères défensives. Elle n’a pas réussi à percer le mystère de la fermeture qu’il opposait à ses crises d’agressivité parce qu’elle cherchait trop à le provoquer. Au pouvoir des paroles violentes qu’elle prononçait pour le faire réagir, il résistait par une autre forme de pouvoir : celle du mutisme et de l’indifférence feinte.

Ils n’ont pu traverser ensemble cette étape éprouvante parce qu’ils sont restés tous les deux sur la défensive. Aucun d’eux n’a exprimé les émotions réelles qu’il ressentait parce qu’ils ne les ont pas écoutées et surtout parce qu’ils ne voulaient pas faire mal et avoir mal. En réalité, au lieu de se blesser mutuellement, ils auraient pu exprimer leur déception, leur frustration, leur tristesse, leur peur d’avoir fait une erreur, leur peur de l’avenir.

phase de fusion à la phase du réel en couple

Se donner le droit d’être triste et déçu sans se complaire dans ces émotions, se donner le droit d’avoir peur et d’avoir de la peine et se donner le droit d’exprimer à l’autre ce vécu réel a pour avantage de réduire les réactions défensives suscitées par ces émotions non entendues et non exprimées. Cette attitude a aussi pour avantage de favoriser l’authenticité et de fonder la relation sur la vérité plutôt que sur la résistance et le mensonge. Même si le fait de dire sa déception risque de blesser, cette expression authentique de sa vérité profonde assoit la relation sur des fondements solides parce qu’elle l’établit sur des bases de sécurité, de confiance, de liberté d’être soi-même.

Habitués depuis le début de leur relation à se dire exclusivement le vécu agréable, les amoureux ont peur de détruire leur rêve de bonheur s’ils reconnaissent être habités par la déception par rapport à l’autre. Et pourtant, c’est l’accueil de ce vécu, accompagné de l’expression des besoins d’être aimé, accepté, écouté et valorisé, qui sert de première condition pour traverser ensemble cette période éprouvante.

L’expression des peurs, de la peine, des frustrations et des besoins a pour effet de rapprocher les amoureux et d’alimenter leur amour, à condition, bien sûr, que cette expression ne soit pas défensive. Souvent les mots reflètent fidèlement le vécu mais ils sont prononcés sur un ton de reproche et de rejet.

Si Élisabeth avait exprimé ses émotions de la façon suivante, peut-être aurait-elle réussi à ouvrir la porte du cœur que Jean-Louis gardait soigneusement fermée pour se protéger.

— J’ai peur de te blesser et j’ai peur aussi que tu te retires dans le silence mais j’ai tellement besoin de te parler, besoin d’être en relation avec toi, besoin de t’entendre. Je t’ai idéalisé comme j’ai idéalisé mon père jusqu’à ce qu’il abuse de moi. Quand j’ai découvert que tu n’étais pas cet homme idéal sans défaut que j’avais souhaité rencontrer dans mes rêves, j’ai été déçue, profondément déçue, et je t’ai rejeté. J’ai voulu te changer. Aujourd’hui, j’ai de la peine d’avoir perdu un rêve mais j’aimerais en bâtir un autre avec toi, plus près de la réalité.

Ce langage non défensif qui révèle les émotions justes et les vrais besoins a très souvent pour effet d’adoucir la souffrance et a pour avantage de favoriser la rencontre entre deux personnes réelles plutôt qu’entre deux êtres qui se veulent parfaits pour être heureux et rendre l’autre heureux.

Pour accéder à cette communication non défensive, les conjoints doivent d’abord être conscients que l’étape du deuil de l’être idéal et de la désillusion est une étape normale de l’évolution de la plupart des couples. Il y a donc de sérieux avantages pour chacun des amoureux à accepter que l’autre a ses forces et ses limites et qu’il est lui-même un être humain. L’expression authentique et non défensive du vécu et des besoins est une aide précieuse pour les couples qui veulent connaître l’accomplissement.

Tous les couples qui se créent forment le projet d’être heureux ensemble. Mais certains n’accèdent jamais au bonheur espéré parce qu’ils ne sont pas prêts à franchir ensemble les obstacles du parcours qui mènent à la réalisation de leur union. Ils fuient devant les difficultés et se séparent. Pour mieux franchir l’étape du deuil et de la désillusion, il est fondamental de s’accrocher à ce projet de départ qui est celui de construire son bonheur à deux.

Les couples heureux ont compris que c’est dans les moments difficiles que se solidifient les liens qui les unissent, à condition qu’ils se prennent la main pour les traverser ensemble. Ils réussissent ainsi à passer de l’enfance à la maturité de leur relation amoureuse.

En effet, si l’étape de la fusion et de l’idéalisation est considérée comme l’enfance du couple, celle du deuil et de la désillusion en est plutôt l’adolescence. On peut comparer le parcours du couple au parcours de l’homme. Au moment de l’enfance, l’être humain dépend de ses premiers éducateurs. Il est en fusion avec sa mère qui l’enveloppe, le protège, le prend en charge et s’occupe de ses besoins tant physiques que psychologiques. Il idéalise ses parents. Son père est extraordinaire. C’est le plus grand et le plus fort. Sa mère est merveilleuse aussi. Tout baigne dans la facilité pour un grand nombre de gamins jusqu’à la période de l’adolescence ou de la préadolescence. À ce moment-là, l’enfant voit davantage ses parents tels qu’ils sont. Il est souvent déçu parce qu’il les croyait parfaits. De plus, il se rend compte que la vie n’est pas toujours coulante parce que son père et sa mère ne prennent pas toujours en charge tous ses besoins. Il doit assumer ses erreurs, s’occuper de ses désirs, apprendre le sens des responsabilités. C’est le seul choix possible s’il veut atteindre la vie adulte de façon équilibrée.

Le couple connaît les mêmes étapes d’évolution que l’être humain. Tout comme l’adolescent, il est fondamental qu’il fasse le deuil de l’enfance et de ses illusions s’il veut accéder à l’âge adulte de la relation amoureuse.

Les conjoints ne sont plus des enfants. C’est là leur réalité. S’accrocher à l’étape de la fusion c’est comme s’accrocher à leur enfance et refuser de grandir, refuser d’évoluer. Le parcours du couple comme le parcours de l’homme est fait de morts et de renaissances. Il doit mourir à l’idéalisation pour naître aux opportunités qu’offre la réalité. Il doit décrocher du passé pour vivre la réalité du présent et se tourner vers l’avenir. Pour y arriver, il est important qu’il s’ouvre aux changements qu’impose toute forme d’évolution.

Beaucoup de gens n’arrivent jamais à se créer un présent et un avenir heureux parce qu’ils sont prisonniers de leur passé. Ils n’arrivent pas à se détacher de leurs anciennes amours même s’ils savent que ces amours ne leur sont plus accessibles. Si l’étape du deuil, pour être constructive, comprend une période de souffrance qui a besoin d’être vécue et exprimée, elle peut devenir destructrice si la personne qui souffre entretient un imaginaire qui la tire vers le passé et la maintient dans une sorte de « victimite » et d’apitoiement qui la privent de son pouvoir de se servir de sa peine pour évoluer.

Carmen vivait seule depuis que Charles l’avait quittée. Après deux ans de séparation, elle s’informait encore de ses allées et venues auprès de Julia, leur amie commune. Comme elle n’arrivait pas à accepter le départ précipité de son amoureux, elle nourrissait l’espoir qu’il revienne combler son vide affectif. Cet espoir déçu la plongeait dans un désespoir profond qui lui enlevait le goût de vivre. Elle entretenait avec lui un lien imaginaire qui n’avait pas de réciprocité. Elle attendait qu’un miracle ramène Charles dans sa vie, ce qui, de toute évidence, était peu probable et ce qui, de plus, nourrissait sa peine, son angoisse et son ressentiment.

L’attachement obstiné de Carmen pour une personne qui ne l’aimait plus et qui le lui avait exprimé clairement l’empêchait de faire le deuil nécessaire à son évolution. Au lieu d’accepter la réalité, elle était dépendante du passé révolu et d’un espoir chimérique, ce qui la rendait profondément malheureuse. Pour trouver sa liberté, elle se devait de faire le deuil de sa relation amoureuse avec Charles, de fermer les barrières derrière elle sans fuir, et d’aller de l’avant. C’est là, et là seulement qu’elle pourrait accéder à de nouveaux apprentissages, à de nouvelles découvertes, à de nouvelles amours.

Pour celui qui sait faire le deuil, l’expérience amoureuse passée devient une richesse qu’il porte en lui, qui le constitue et le rend plus fort, plus solide, plus profond. Cette expérience sert de sujet d’apprentissage et de croissance au lieu d’être une chaîne qui le tire en arrière.

Se libérer du passé ne signifie pas qu’il faille s’en dissocier. L’enfance sert de fondement à l’extraordinaire et unique histoire d’un être humain. C’est à partir de chaque étape de son évolution que l’homme se construit. Il est habité par son passé qu’il ne considère pas comme un poids à traîner ou comme une force qui le maintient petit mais comme une graine qui porte la vie et qui se transforme en fleurs et en fruits à condition que chaque jour elle soit nourrie et qu’il s’en occupe.

L’étape de la fusion et de l’idéalisation avec tout ce qu’elle comporte de passion, de désir, d’attraction et de rêve fait partie de l’histoire d’une relation amoureuse. Elle construit le couple tout comme l’enfance et l’adolescence construisent l’homme. Les conjoints composent leur cheminement à partir du départ de leur relation et progressent ainsi jusqu’à la maturité en gravissant toutes les marches. Ceux qui réussissent à faire le deuil du passé sans l’oublier connaissent des surprises extraordinaires et une nouvelle forme de passion beaucoup plus solide. Il suffit, pour y accéder, d’apprendre à vivre dans la réalité. Cet apprentissage consiste à trouver un bonheur durable à deux qui s’inscrit dans le quotidien. C’est là, la troisième étape de l’évolution de la relation de couple. Son importance est tellement significative et déterminante pour l’avenir de la relation amoureuse qu’elle fera à elle seule l’objet du prochain chapitre.